Projet de la Compagnie Jérôme Thomas et de la Troupe Jambo Mambo de Nairobi (Kenya)
En octobre 1993, le groupe Artrio réalisait avec le concours des Alliances françaises et l’AFAA, une tournée en Afrique de l’Est, l’Ethiopie, le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya et le Zimbabwe et non pas les « Iles Babués » comme me disait une hôtesse de l’air à Paris ayant confondu ma destination.
Chaque pays que nous avons traversé nous révélait certains secrets quant à leurs mouvements artistiques. Le Zimbabwe marqué par sa musique ancestrale liée à l’influence anglaise, l’Ethiopie par sa peinture contemporaine, l’Ouganda par son théâtre populaire de boulevard, le Rwanda où nous avons rencontré le seul acteur Tutsi du pays et qui a eu le temps de quitter sa patrie juste avant les événements atroces de ces derniers mois, et le Kenya par sa sculpture et sa tradition acrobatique.
C’est ainsi qu’à la suite d’Artrio, à Nairobi, capitale du Kenya, j’animai une séance de travail avec les étudiants de l’école de théâtre. Je rencontrai le chef de la troupe d’acrobates; il me montra une vidéo de leur spectacle frappé par la dextérité, l’enthousiasme, la virtuosité, la souplesse, la tonicité et la créativité de cette jeune équipe, je leur proposai de voir si un travail pouvait s’établir entre nos recherches respectives.
Quelle serait, en définitive, une rencontre entre un créateur français de culture Occidentale et une troupe d’acrobates africains? Les études pourraient s’articuler sur deux idées.
La première sur une formule d’un poète citant Picasso « Picasso, le ramoneur du passé ». Le travail consisterait à une recherche approfondie de l’Art de l’acrobatie en Afrique, ses origines, la rencontre de ses maîtres par la tradition orale, et l’inventaire des positions acrobatiques identifiées jusqu’à présent.
La deuxième idée sur la définition insolite du mot « invention » que nous trouvons dans le dictionnaire : »In », dedans, « Venire », à l’intérieur, qui se traduit par, dixit : celui qui trouve (un trésor, un objet perdu, un gisement archéologique). Cette tradition donne un sens originel à ce mot et non pas uniquement « imaginer de façon arbitraire sans respecter la vérité ». Ainsi, ramoner le passé et inventer une forme acrobatique nouvelle qui donne un mouvement à la tradition actuelle.
Liège, décembre 1994.
ÉQUIPE ARTISTIQUE
Conception, direction artistique Jérôme Thomas
Chorégraphie Rémy Balagué, Jérôme Thomas
Scénographie et lumières Bernard Revel
Musique et arrangements Bertrand Boss
Son Yvan Roussel
Costumes Emmanuelle Grobet
Assistante Elizabeth Gros
Avec la troupe Jambo Mambo, John Mainzi Maingui, Charles Njenga Nyingi, Richard Boi, Samwell Mgugua, George Kimwelli Matee, Abdurahman Ramandhani Suleiman, Salim Jilo, Salali
De tout temps, les peuples du monde ont forgé leur propre culture par l’échange des idées et des biens de la terre, comme les « MASSAÏ », conservant les perles que les Anglais leur ont apporté pendant la colonisation, pour en faire des colliers, ou comme les musiques ethniques du monde dont les connexions entre elles sont frappantes et ce, à des dizaines de milliers de kilomètres entre elles. L’image du message dans la bouteille traversant les mers une métaphore des multiples influences qui métissaient les peuples et les cultures depuis les premiers temps.
L’Europe a l’Afrique en elle.
L’Afrique a l’Europe en elle.
C’est dans ce même engagement d’échanges artistiques et humains que la mise en oeuvre peut se réaliser, même si l’actualité est à l’ultra conservatisme, et à l’ultra protectionnisme économique.
J’ai toujours très mal appris mes leçons à l’école, et j’ai toujours refusé toute forme d’institution artistique, non par manque d’intérêt, mais cela provoque chez l’artiste une notion de compétition de lui-même, par rapport aux autres. Dès l’instant où l’artiste invente ses propres règles, il n’est en compétition avec personne, et si toutefois il se perd, rien ne l’empêche de changer à nouveau les règles.
L’art n’est en aucun cas du sport, autant que le sport n’est de l’art. L’artiste agit ainsi à la transformation de formes et remet en question les appellations des mots que nous formulons : danse, mime, acrobatie… Dans ce sens, il déstabilise les règles établies, touche aux formes non admises, et montre ainsi une nouvelle vision du théâtre vivant l’inclassable.
Je tente de pratiquer ce genre de théâtre singulier, dont la seule ambition est d’exister dans un monde qui uniformise les choses et les êtres.
L’artiste est aujourd’hui un résistant à cette grande machine qu’est « le nouvel ordre mondial ».
+ extrait du carnet de voyage de Jérôme Thomas au Kenya en 1995
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ILS EN ONT PARLÉ…
A venir…